Le jour est à peine levé sur le bourg de Saint-Sever. Les abords du collège sont déserts, les bâtiments vides, la cour silencieuse. Mais une salle de classe est éclairée, ignorant les congés scolaires. La lumière filtre à travers la fenêtre. Il y a de la buée sur le pare-brise. Le camping-car est stationné sur le parking, bien en évidence, avec son logo bleu : Professeur truck.
Trois Ă©lèves de Terminale S approfondissent le programme de maths. La trigonomĂ©trie, les sinus, les cosinus. C’est crucial, a fortiori cette annĂ©e :
« avec la rĂ©forme, il ne faudrait pas redoubler. Leur bac n’existera plus l’an prochain »,
explique la prof. Ils ont donc choisi de suivre un stage d’une semaine, Ă raison de deux heures chaque matin.
« Je connais bien un des Ă©lèves. Il m’a sollicitĂ©e, explique Audrey Kistler. Je lui ai demandĂ© si d’autres Ă©lèves pouvaient ĂŞtre intĂ©ressĂ©s. Deux de ses camarades ont dit oui. J’ai donc organisĂ© le stage Ă Saint-Sever. C’est l’endroit qui leur convenait ».
Les futurs bacheliers ont pris place sur les banquettes de ce Ă©tait le coin repas. Audrey aligne les Ă©quations sur un grand tableau numĂ©rique accrochĂ© au mur, Ă l’emplacement de l’ancien coin couchage. Les placards sont remplis de livres et de matĂ©riel scolaire. Le camping-car a vraiment perdu son petit goĂ»t de vacances.
« C’est une salle de classe qui se dĂ©place »,
sourit Audrey Kistler.
Ă€ bord, le climat est studieux. Pas de smartphone sur la table. Pas de sollicitation. La fenĂŞtre donne sur le collège, ce qui n’invite pas spĂ©cialement Ă la rĂŞverie.
Ici on travaille plus qu’Ă la maison. Et puis on a la prof. On est encadrĂ©. S’il y a quelque chose qu’on ne comprend pas, elle nous aide. Alors qu’Ă la maison, on va repousser ça Ă plus tard…
Audrey se penche sur la table, prodigue des conseils, des encouragements. Dans une autre vie, elle fut ingénieure pour un sous-traitant automobile.
« Mais quand j’ai habitĂ© en Allemagne il y a quelques annĂ©es, je donnais dĂ©jĂ des cours de français. J’adore ça ».
Les deux heures ont passĂ© très vite. Les Terminales s’en vont reprendre le fil de leurs vacances. Trois Ă©lèves de sixième s’installent Ă leur tour au coin salon. Cette semaine, ils reprennent tout le programme de l’annĂ©e en insistant sur ce qui les a mis en difficultĂ©.
« Ils ont du soutien au collège, c’est vrai, reconnaĂ®t Amraoui qui vient de confier son fils au Professeur truck. Mais ils sont trop nombreux. Ils font ça entre deux cours, ou en sortant du self. Ce n’est pas suffisant. »
Dans le bocage, il n’existe guère de structure privĂ©e spĂ©cialisĂ©e dans le soutien scolaire telle que celles qui se partagent le marchĂ© des grandes villes. Quand Audrey a choisi de se reconvertir dans l’enseignement, elle a très vitĂ© optĂ© pour les cours particuliers.
« Après avoir obtenu mon Master, j’ai effectuĂ© des remplacements en collège et en lycĂ©e comme prof de maths. C’Ă©tait parfois frustrant. On se rend compte qu’on perd certains Ă©lèves qui auraient parfois juste besoin d’un tout petit peu d’aide afin de pouvoir progresser. Mais on n’a pas ce temps-lĂ Ă leur consacrer. J’avais envie de pouvoir ĂŞtre lĂ pour chacun des Ă©lèves ».
Evidemment, cette attention sur mesure de paie. Le stage de dix heures est vendu 150 €. L’heure de maths ou de soutien en pĂ©riode scolaire coĂ»te entre 13 et 25 €. La formule ne sĂ©duit pas que les Ă©lèves et leurs parents :
« Une enseignante du nord de la France m’a contactĂ©e pour faire la mĂŞme chose. Cela pourrait ĂŞtre intĂ©ressant de mutualiser les cours ».
Audrey songe Ă crĂ©er une franchise Professeur truck. Le concept n’a rien de bien sorcier. Il suffisait d’y penser.
Un article par Pierre-Marie Puaud